La Belle de Mai sans voitures polluantes
“ça ne marchera jamais”
Ce jeudi 1er septembre la ZFE entrera en vigueur à Marseille. Le vaste périmètre autour du centre-ville comprend notamment la Belle de Mai, quartier qui compte beaucoup de ménages modestes et motorisés. Ici, plus que l'impact écologique, ce sont les conséquences financières qui sont redoutées.
“La Z quoi ?”. La réaction est récurrente. Dans les rues de la Belle de Mai (3e), rares sont ceux qui connaissent l’acronyme ZFE. Pourtant, à partir de ce jeudi 1er septembre, ce quartier fera partie intégrante de la zone à faibles émissions. Comprenez en polluants routiers. Dans ce périmètre qui s’étalera sur les 19,5 kilomètres carrés les plus centraux de Marseille, certains véhicules ne pourront plus circuler. Ces véhicules, les plus anciens, et donc, les plus polluants, sont censés être reconnaissables grâce à une vignette “Crit’air” obligatoire. Celle-ci permettra de classer les véhicules ; du plus nocif pour la qualité de l’air (5) au plus respectueux (électrique). Dans un premier temps, seuls les véhicules classés 5 seront concernés (diesel immatriculé avant 2000 et essence avant 1996), pour progressivement ne laisser circuler que les véhicules munis d’une vignette Crit’air 1 et 2.
Si l’entrée en vigueur de cette nouvelle mesure vise à améliorer l’état des poumons des résidents, elle risque aussi d’avoir un impact financier pour les plus démunis, difficilement mesurable. “Quand on voit l’état des voitures, comment vont faire les gens ? Ici, on n’a pas tous les moyens de se racheter une voiture, même d’occasion”, s’inquiète Sophia, qui tient un café. Si des aides sont prévues par l’État et la région, la crainte des habitants – souvent très peu informés – de ce quartier qui fait partie des plus pauvres de la ville, est bien là. Quand ce n’est pas du déni.
“PERSONNE N’EST AU COURANT”
Accoudé au comptoir, Kamel regarde son café les yeux dans le vide. Il réfléchit aux conséquences que cette nouvelle mesure aura sur sa vie. Propriétaire d’une veille modus diesel de 2003, le Crit’Air 4 lui pend au nez avec une interdiction de circuler dans la zone d’ici à un an. Retraité, le vieil homme habite du côté de Félix-Pyat et vient chaque jour à la Belle de Mai rendre visite à sa fille. Régulièrement, c’est lui qui amène sa petite-fille à l’école, en voiture. Une habitude qu’il va bientôt devoir changer. “Je vais devoir faire tout ça en bus, prendre le 89 jusqu’à National, puis le 31. Bon, il y a une côte à monter, mais ça me maintiendra en forme”, envisage-t-il sous le regard inquiet de sa fille. Changer de voiture ? Kamel ne l’envisage même pas. “Celle-là va partir direct à la casse. Ça me fera économiser les 42 euros d’assurance par mois”, essaye de relativiser ce grand-père aux yeux rieurs.
Si l’entrée d’une journaliste dans ce bar de quartier ouvre le débat, personne ici ne semble s’être questionné sur cette nouveauté par le passé. “Personne n’est au courant. Des prospectus ont bien été distribués, mais honnêtement, je ne pense pas que ça va marcher”, tranche Sophia, sous l’approbation générale des habitués de son zinc. “Ils ne savent plus quoi inventer pour nous prendre de l’argent !”, conclut l’un d’eux en tapant du poing sur la table.
SPOTS RADIO ET AFFICHAGE PUBLIC
Dans les territoires les plus pollués, l’application d’une ZFE a été rendue obligatoire par la loi d’orientation mobilité promulguée en 2019. Et c’est à la métropole qu’a échu le soin de l’appliquer, notamment de communiquer pour préparer son entrée en vigueur. Spots d’information avant l’info trafic sur France Bleu Provence, distribution de prospectus dans “toutes les boîtes aux lettres des 300 000 habitants de la zone”, pages internet dédiées, affichages dans 70 bars et restaurants, sur des panneaux dans l’espace public, 169 affiches sur les cars, 102 sur les trams, 100 pour les bus… Contactés par Marsactu, les services de la métropole affirment “communiquer massivement depuis plusieurs mois”. Et ce, jusqu’en octobre. 300 panneaux de signalisation ont également été installés en entrée de zone.
“Ah oui ! J’en ai entendu parler”, se souvient enfin Moustapha, responsable du garage King Auto, rue d’Orange, une fois l’acronyme décrypté. “Ils veulent éliminer le diesel. Ces jours-ci, j’ai fait le dernier contrôle technique d’un monsieur qui a une voiture de 1998. Il a mal réagi, il se demande bien comment il va faire…, raconte le mécano. J’ai un autre client qui a pu acheter une voiture électrique grâce aux aides [du département], il a déposé un dossier, mais t’as toujours un truc à sortir de ta poche. Et tout le monde ne peut pas se le permettre.”
Un peu plus loin, dans le garage JK, le débat monte. Miloud est venu rendre visite à un ami du quartier depuis Lyon. La ZFE, le jeune père voit très bien de quoi il s’agit. Dans la métropole lyonnaise, elle est en vigueur depuis le 1er janvier 2020. Voilà donc plus de deux ans qu’il réfléchit à des stratagèmes pour contourner cette nouvelle réglementation. “J’ai fait passer en véhicule de collection ma vieille voiture [une dérogation est accordée pour les véhicules de collection, qui doivent avoir plus de 30 ans]“, lance-t-il fièrement. Son ami ne pourra en faire autant. Sa voiture est vieille, mais pas assez. Il peste : “Les moteurs anciens cassent moins. OK, on t’aide financièrement à l’achat. Mais après, qui paye l’entretien ? On vit dans un monde de consommation où avoir une voiture sera du luxe !”.
PLUS D’AIDE LOCALE POUR ACCOMPAGNER LA TRANSITION
Aucune aide spécifique à la ZFE n’est prévue par la métropole pour accompagner les propriétaires modestes, contrairement à la plupart des grandes villes concernées. Entre 2018 et 2021, le conseil départemental proposait une aide de 5000 euros pour l’achat d’un véhicule électrique, versée sans condition de ressources. Le dispositif, étendu à tous les habitants des Bouches-du-Rhône, a coûté 65,3 millions d’euros, le quadruple de ce qui était prévu initialement.
En mars 2022, le maire PS des 2/3 et conseiller départemental, Anthony Krehmeier interpellait Martine Vassal sur la nécessité de prendre le relais avec une aide dédiée à l’accompagnement de la ZFE. “On arrête parce qu’on a largement rempli notre contribution. On a permis à toutes les personnes qui le souhaitaient d’acheter un véhicule électrique, qui reste quand même un véhicule cher. Tout le monde ne peut pas, même avec les aides, acheter un véhicule électrique”, justifiait alors la présidente du département, mais aussi de la métropole. Quant à la suite, elle a renvoyé la balle à la Ville de Marseille, l’enjoignant de “prendre ses responsabilités”…
“ILS N’ARRIVERONT JAMAIS À LA FAIRE APPLIQUER”
Pour les propriétaires de vieux diesel, reste l’espoir d’esquiver les PV. Les amendes pourront s’appliquer pour absence de vignette ou circulation non autorisée et leur montant s’élève à 68 euros pour les véhicules légers ou les deux-roues, et à 135 euros pour les poids-lourds. “À Lyon, il y a la vidéosurveillance et des contrôles. Mais ici, ça ne marchera pas. C’est impossible à contrôler, ils n’arriveront jamais à la faire appliquer. Il y a déjà trop de choses à vérifier”, tranche Miloud le garagiste.
Contactée, la préfecture de police affirme que le mois de septembre sera dédié à la pédagogie. Les premières sanctions tomberont en octobre. Mais aucun contrôle supplémentaire n’est pour le moment envisagé. La vignette sera donc vérifiée lors des contrôles routiers classiques. Si la police municipale est également censée prendre part aux contrôles, la Ville n’a pu nous apporter plus de précisions. “Ce n’est pas nous qui avons les choses en main”, a-t-on simplement répondu à Marsactu.
“LA ZFE OUI ! MAIS AVEC QUELLES ALTERNATIVES ?”
Dans certaines métropoles, à commencer par Paris, une vidéo-verbalisation automatique a été envisagée. À Marseille, ce n’est pas pour tout de suite, bien “qu’il y ait beaucoup de réflexions à ce sujet”, précise-t-on du côté de la préfecture de police. Plusieurs problèmes techniques peuvent expliquer cela. Comme notamment l’impossibilité de recouper les différents fichiers qui comprennent par exemple les dérogations. En effet, celles-ci peuvent être nationales (véhicules des personnes à mobilité réduite, d’association, de transport en commun…) mais aussi locales, sur dérogation temporaire de la métropole. Ce pourra par exemple être le cas pour les véhicules frigorifique, certains engins de chantier, les véhicules des commerçants ambulants, ceux des associations qui effectuent des maraudes auprès des sans-abri.
Selon la métropole, la première salve de la mise en place de la ZFE (Crit’Air 5) devrait concerner 2 % des véhicules personnels, 4,4 % des poids lourds et 1 % des véhicules utilitaires marseillais. Certains quartiers seront plus ou moins avantagés. À la Belle de Mai, quartier peu traversé par d’autres gens que ses habitants, 49 % des ménages ont une voiture et 48 % des actifs utilisent un véhicule personnel pour se rendre au travail selon le recensement de l’Insee. À titre de comparaison, ils sont respectivement 34 et 24 % dans le 1er arrondissement, bien moins motorisé.
“Je dis oui à la ZFE ! Les quartiers pauvres aussi ont le droit à ce que l’on fasse attention à leur santé, amorce Maurice Attia, adjoint au maire de secteur (PCF) des 2/3 en charge de la voirie et qui a abondamment tracté sur ce sujet. Mais parallèlement, il faut investir dans des alternatives, plutôt que d’imposer en plumant les gens.” Et l’élu de secteur de rêver d’une réelle amélioration du réseau de transports en commun – “qui est lamentable à la Belle de Mai” – de pistes cyclables sécurisées, d’accès facilité à l’autopartage, voire… de gratuité des transports en commun.
JUSQU’À 7000 EUROS D’AIDES DE L’ÉTATPlusieurs aides existent, indépendamment de la ZFE. En ce qui concerne les aides de l’État, il s’agit notamment du bonus écologique. Il s’applique aux particuliers et aux professionnels souhaitant acheter un véhicule électrique. L’aide peut aller 7000 euros pour un véhicule neuf et 1000 euros pour un véhicule d’occasion ou hybride. Sachant que les entrées de gamme des véhicules électriques neufs coûtent environ 20 000 euros. Le gouvernement propose aussi la prime à la conversion, qui permet d’acheter un véhicule électrique neuf ou d’occasion grâce à une aide pouvant aller jusqu’à 5000 euros. Ces deux aides peuvent être cumulées pour atteindre les 12 000 euros, pour une voiture neuve.
Du côté de la Région, le chèque transition bioéthanol permet d’obtenir 500 euros d’aide à la conversion du moteur d’un véhicule essence en moteur hybride essence-bioéthanol. Une opération qui coûte entre 700 et 1600 euros selon les voitures. La région a aussi mis en place une seconde aide à l’acquisition d’utilitaire électrique ou hybride pour les auto-entrepreneurs, les PME et le TPE pouvant aller jusqu’à 15 000 euros selon le type de véhicules.
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