Docks libres 2 au tribunal, ou la fable
Dans l'ensemble immobilier Docks libres 2, livré en 2019, les contentieux judiciaires se multiplient. Trente locataires assignent leur bailleur, 3F Sud, pour des troubles de jouissance. Ce dernier se retourne contre l'association de copropriétaires dont il conteste la légitimité.
On pourrait jouer au jeu des sept erreurs entre les Docks libres 1 et 2, dont le dernier immeuble a été livré en 2019. Dans la petite rue qui sépare les deux parties du quartier à Saint-Mauront (3e), les deux garages souterrains se font face. Côté Docks libres 1, la porte est posée sur le côté, en attendant des réparations prévues dans sept semaines. Côté Docks libres 2, la porte du parking est maintenue en position ouverte depuis plus de deux ans. “Résultat, nos voitures sont sans cesse vandalisées, ça n’est plus possible”, s’emporte Linda, une des locataires de la grande tour qui sert de fanal à cet ensemble neuf.
Comme pour Docks libres 1, la grappe de tours dessinée par Roland Carta reposait sur une logique de mixité, entre des immeubles en copropriété privée et d’autres acquis dès leur construction par des bailleurs sociaux. Ici, c’est le groupe 3F Sud, qui possède deux immeubles de 103 logements, dont une tour de 17 étages. Au pied de celle-ci, un jardin encombré d’herbes folles où, entre encombrants et sacs en plastique, un système de goutte-à-goutte affleure, sans distribuer la moindre eau. “Depuis des années, ce jardin n’est plus entretenu, faute de participation du bailleur social, 3 F, aux charges de la copropriété”, explique Sami Mokhtari, président de l’association syndicale libre (ASL), qui gère les parties communes pour le compte des copropriétaires.

Un des boxes squattés du parking de 3F Sud. (Photo : BG)
Parkings squattés
Le même différend explique le blocage et l’abandon des parkings : 3F Sud est propriétaire d’un niveau sur les trois existants. Mais, aux dires des autres copropriétaires, là encore, le bailleur social refuse de participer aux charges de copropriété, et donc à la réparation de la porte, permettant de mettre fin aux occupations illicites des parties communes. Quelques minutes de déambulation dans les souterrains mal éclairés permettent de se persuader de l’état d’abandon manifeste. Un des boxes est entièrement dédié au désossage de deux-roues volés. Un autre sert clairement de lieu récréatif de consommation de protoxyde d’azote. Un peu plus loin, ce sont des matelas crasseux qui permettent à des indigents d’avoir un abri indigne.
Cette situation exaspère les locataires, qui ont décidé d’assigner leur bailleur pour “troubles manifestes de jouissance”. Ils sont une trentaine à avoir choisi la voie judiciaire pour faire entendre leurs droits. “Les locataires ont décidé d’attaquer le bailleur en référé pour les gros désordres qui pèsent sur leur quotidien, explique Andréa Sagna, l’avocate des locataires. Le plus problématique concerne les ascenseurs, qui présentent des pannes à répétition. Mais nous avons également des problèmes de conformité du système incendie et d’absence de gestion des parties communes.”
Visage clair encadré dans une abaya sombre, Maryline fait partie des locataires qui ont décidé de passer par la voie judiciaire pour tenter de faire entendre raison au bailleur social. “Mon médecin a rédigé un certificat qui établit un lien de cause à effet entre ma fausse couche et la fatigue liée à ces pannes d’ascenseur chroniques”, explique la jeune femme, document à l’appui.

Le point de deal du Parc Bellevue est au bout de la rue. (Photo : BG)
Coco en jaune fluo
Du côté du bailleur, on indique que la question des ascenseurs défaillants est suivie de près. “La dernière panne date de juillet, elle a duré deux jours, minimise Florence Masson, la directrice clientèle de 3F Sud. C’est l’immeuble le plus haut de notre patrimoine dans la région. Nous sommes très attentifs à ce que les pannes soient résolues très rapidement. Nous avons proposé des séjours à l’hôtel aux ménages les plus impactés.” Le bailleur met en avant le faible turnover de ses locataires : “Cela prouve qu’ils sont assez satisfaits.” Pour elle, le gros des désordres est imputable à la proximité entre la cité et le Parc Bellevue, dont le point de deal fait face aux grandes tours blanches des Docks libres. Sur la façade du bâtiment 3, un “coke” jaune et rouge signale le drive, ouvert 24 heures sur 24.
“On ne nie pas les incivilités, ni les difficultés, liées au voisinage, constate Linda, mais si on a choisi d’assigner en justice notre bailleur, c’est bien parce qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans la gestion au quotidien.” Parmi les griefs pointés par les locataires figurent également d’importants rappels de charges, qui ont entraîné de grandes difficultés financières pour certains habitants.
Millier d’euros d’eau chaude
“Certains d’entre nous se retrouvent avec des milliers d’euros de régulation de charges dus au paiement de l’eau chaude, voire à des factures de chauffage collectif alors que chez nous, le chauffage est individuel”, détaille Linda. Elle pointe aussi une confusion sur la facture d’eau, “alors qu’on paie directement à la Société des eaux”.
Sur ces points, le bailleur plaide la maladresse et évoque “un intitulé commun à l’ensemble du groupe qui porte à confusion”. De fait, seule la production d’eau chaude via des pompes à chaleur est directement imputée à chaque locataire. Mais, là encore, ceux-ci estiment que le compte n’y est pas. “Nous avons des coûts bien supérieurs à ce qui se fait ailleurs parce que le système mis en place ne fonctionne pas”, se plaint Linda. Résultat, les locataires laissent couler l’eau pour essayer d’avoir autre chose qu’un filet d’eau tiède et se retrouvent avec des notes astronomiques en fin d’année.
Du côté du bailleur, on pointe des “problématiques individuelles” tout en reconnaissant l’existence d’une quinzaine de locataires en contentieux “pour 37 000 euros d’arriérés au total” et dix-huit autres en pré-contentieux pour un montant global de 12 000 euros. Là encore, 3F Sud met en avant sa volonté de dialogue et de médiation. “Mais si nous assignons le propriétaire, c’est justement pour y voir plus clair”, défend l’avocate des plaignants.
Imbroglio juridique dans les parkings
À ce conflit juridique avec ses locataires s’ajoute un contentieux plus lourd avec les autres copropriétaires. “La preuve que les deux affaires sont liées, le 19 juin dernier, 3F Sud a demandé un renvoi de notre audience, pour pouvoir se retourner contre l’association syndicale libre”, note Andréa Sagna, l’avocate des locataires. Depuis que les copropriétaires ont mis dehors le promoteur Nexity qui s’était arrogé la gestion du syndic, ils sont à couteaux tirés avec le bailleur social.
“Le promoteur avait oublié de déposer les statuts de l’ASL [association syndicale libre] en préfecture, ce qui l’empêchait d’avoir une existence légale, se désole Sami Mokhtari, propriétaire occupant qui dépense une énergie folle à se dépatouiller d’une situation “inique”. Ensuite, il a découvert que les statuts de l’ASL imposaient que le président soit “un professionnel inscrit au registre du commerce”. “En fait, ils ont rédigé les statuts pour que le président soit toujours un représentant de Nexity ou 3F Sud”, constate le jeune homme. Il pointe un arrangement entre le promoteur et le copropriétaire institutionnel, lui permettant de minimiser les charges de copropriétés relevant de sa quote-part.
Contentieux sans fin
En 2020, les copropriétaires des autres bâtiments ont donc décidé de révoquer le syndic et de créer une nouvelle ASL dont ils ont déposé les statuts en préfecture. Sauf que le bailleur social conteste depuis la légalité de ladite association et assigne systématiquement celle-ci. “Depuis trois ans, nous contestons la validité de l’assemblée générale qui a voté les statuts de cette nouvelle ASL, confirme Florence Masson, pour 3F Sud. Notamment parce que cette ASL a émis des appels de charges qui dépassent de très loin ce que nous payions auparavant, pour protéger nos locataires des coûts qui pourraient se répercuter sur eux. Nous avons donc contesté cette ASL et nous avons eu gain de cause devant les tribunaux.”
En juillet dernier, un mandataire judiciaire a été désigné par le tribunal à la demande du président de l’ASL en vue de faire élire un nouveau bureau et rédiger des statuts qui satisfassent tout le monde. “Mais, pour l’heure, 3F Sud exige toujours que ce soit un professionnel qui préside l’association”, déplore Sami Mokhtari. Du côté de 3F Sud, on indique qu’une réunion avec leur conseil est justement prévue ce mardi. Le contentieux juridique des Docks libres n’est pas près de s’éteindre.
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