jeudi 8 mai 2025

Journal MARSACTU

 

La tour Bel Horizon vit sous la menace d’une évacuation de grande ampleur

Décryptage
le 6 Mai 2025
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À l'entrée de Marseille, la tour Bel Horizon fait l'objet de travaux de mise aux normes de son système de sécurité incendie. Or, les dégradations systématiques des travaux réalisés par les acteurs du réseau de narcotrafic mettent à mal l'avancée du chantier. Au point que l'État réfléchit à une évacuation de l'ensemble des habitants.

La tour Bel Horizon est soumise aux règles strictes des immeubles de grande hauteur. (Photo : B.G.)
La tour Bel Horizon est soumise aux règles strictes des immeubles de grande hauteur. (Photo : B.G.)

Le guetteur accueille mollement le visiteur à l’entrée de Bel Horizon II, l’une des deux copropriétés qui cohabitent dans cet immeuble de grande hauteur à l’entrée de Marseille. “Y veut quoi ?“, demande-t-il, relevant à peine le statut de journaliste. Pourtant, la présence de ce réseau très actif de narcotrafic est au cœur de discussions tendues entre représentants des pouvoirs publics depuis plusieurs semaines.

La préfecture envisage même très sérieusement l’évacuation complète de Bel Horizon I et II, soit 133 appartements, pour la plupart habités et certains en situation de suroccupation. Cela représente donc des centaines de personnes à reloger sur une période indéterminée. Lors d’un récent point avec la presse, le préfet de région, Georges-François Leclerc, a placé le sujet tout en haut de la liste de ses préoccupations. “Sur Bel Horizon, il va falloir qu’on prenne une décision, expliquait-il. Si les travaux de mise en sécurité ne sont pas menés à bien dans les prochaines semaines, alors on entrera dans une zone de danger et il faudra évacuer. La situation de Bel Horizon n’est pas un scoop, c’est un des sujets de la rénovation urbaine en centre-ville depuis plusieurs années. Mais la question qui se pose aujourd’hui est le maintien de ses habitants à court terme et d’une évacuation de la tour.

2,6 millions pour mettre la tour aux normes

Depuis plusieurs mois, l’administrateur judiciaire AJAssociés (AJA) mène des travaux de mise aux normes de la tour. Ces travaux portent principalement sur le risque incendie. Un sujet sensible dans cet immeuble de grande hauteur (IGH), qui comprend 19 étages et nécessite la présence permanente d’agents de sécurité. Ces travaux pour un montant de 2,6 millions d’euros, essentiellement financés par la métropole et l’Agence nationale de l’habitat (Anah), concernent les façades, l’installation de portes coupe-feu dans l’ensemble des logements, mais également dans les trappes d’accès aux fluides, présents à chaque palier. Des capteurs incendies doivent être installés dans le cadre de cette mise aux normes.

Or, les travaux entrepris font l’objet de dégradations quasi systématiques attribuées au réseau de narcotrafic qui occupe le pied de l’immeuble. “Nous avons dû reporter de plusieurs semaines le début du chantier parce que l’installation a été houleuse. Des coups de feu ont été tirés, explique-t-on du côté de l’administrateur judiciaire. Depuis, le chantier a pu démarrer et nous avons pratiquement fini les travaux en façade. En revanche, à l’intérieur, c’est beaucoup plus compliqué.

Cet appartement squatté n’a plus ni fenêtre, ni porte. (Photo : B.G.)

Ces difficultés portent principalement sur les portes coupe-feu et l’installation des capteurs du réseau de sécurité incendie. “Sur les portes, nous avons bien progressé, estime l’administrateur judiciaire. Il y a quinze jours, au moment d’une réunion avec la préfecture de police, il nous restait 35 portes à poser. Aujourd’hui, il en reste une dizaine à peine.” Mais il suffit qu’un propriétaire prenne la liberté d’installer un judas sur sa porte d’entrée pour que l’entreprise soit forcée de refaire les travaux. “Les portes coupe-feu sont réalisées sur mesure, explique-t-on à AJA. Et les judas sont proscrits.

En revanche, du côté de l’installation des capteurs de fumée, le bilan est plutôt négatif. “40 % des capteurs ont été détruits, poursuit l’administrateur. Cela nous oblige à faire une demande de nouvelle subvention pour financer ces travaux supplémentaires.”

40 % des Détecteurs de fumée détruits

Dans l’escalier de Bel Horizon II, deux peintres font les derniers raccords de peinture après la pose des portes, ils disent ne pas rencontrer de difficultés dans le chantier. En revanche, un ouvrier qui vérifie les placards d’accès aux réseaux est clairement pessimiste. “On fait les travaux et eux, ils détruisent tout derrière, ça n’a pas de sens, se désole-t-il, en resserrant les gonds de la porte d’une trappe. Moi, je suis un simple soldat, pas un général, mais je ne vois pas comment cette tour, elle peut être rénovée dans la durée. Au dernier étage, ils ont détruit les détecteurs de fumée parce qu’ils croyaient qu’il y avait des caméras à l’intérieur.”

Il n’y a aucune caméra, martèle-t-on chez AJAssociés. Ce sont de simples capteurs. Ils sont censés éviter qu’un incendie se propage.” Au huitième étage, une habitante sort de son appartement. Elle porte encore des pansements sur les jambes et les bras, stigmates d’un violent incendie qui a ravagé cet étage il y a quelques semaines. Les murs noircis témoignent de la violence du sinistre. “Heureusement, il y avait encore l’échafaudage pour les travaux en façade, explique-t-elle. J’ai pu faire sortir mes enfants par là et ils ont rejoint la passerelle.” C’est cette dernière qui permet de rejoindre la copropriété siamoise de Bel Horizon II, notamment en cas d’incendie. En ouvrant sa porte pour sortir à son tour, la mère de famille s’est retrouvée au milieu des flammes. “Ce bâtiment, c’est la merde, déplore-t-elle. On ne peut pas dormir la nuit. Ils font le bordel tous les soirs. Et quand il y a des travaux, ils cassent tout ensuite. J’ai fait une demande pour un autre logement, mais je n’ai jamais eu de nouvelles.

“On ne fait pas un euro”, ont inscrit les acteurs du réseau, en pied d’immeuble, pour protester contre les travaux. (Photo : B.G.)

Propriétaires occupants ou locataires, ils sont nombreux dans l’immeuble à se désoler de l’emprise du réseau sur leur quotidien. “À chaque fois, c’est la même histoire, constate un membre de l’ancien conseil syndical. Ce sont les squatteurs et les vendeurs du réseau qui détruisent les équipements neufs qui sont installés par l’administrateur judiciaire. Et nous, on n’a plus aucune visibilité sur le devenir de l’immeuble.” Un temps envisagée, la restructuration lourde du bâtiment, avec suppression des derniers étages pour sortir du statut d’immeuble de grande hauteur, ne paraît plus être d’actualité. La démolition semble actée par les institutions publiques, sans qu’aucun calendrier ne soit précisé. L’évacuation des habitants viendrait en précipiter l’échéance.

Du côté de l’AJA, on convient que le caractère sisyphéen de l’entreprise n’est pas de nature à éclaircir l’avenir à court terme des habitants. “On peut obtenir un avis positif de la commission de sécurité, mais si c’est cassé juste après, cela n’a pas de sens, analyse-t-on chez AJA. L’immeuble sera de nouveau en dehors des clous en ce qui concerne la sécurité incendie.”

Contactée par Marsactu, la métropole, compétente sur le suivi des copropriétés dégradées, se borne à rappeler que “la sous-commission de sécurité contre le risque incendie a rendu un avis défavorable” et que les travaux doivent se terminer avant l’été 2025.

Du côté de la Ville, en revanche, on regarde avec un peu d’appréhension la possibilité d’une évacuation massive des habitants. L’adjoint au logement, Patrick Amico, ne veut pas s’affoler : “Les travaux de sécurisation continuent malgré quelques difficultés liées à un contexte de sécurité publique qui n’est pas du ressort de la Ville”, répond-il. Mais, en coulisses, on constate qu’une évacuation subite d’un nombre aussi important d’habitants avec des personnes âgées et des enfants en bas âge est bien au-dessus de la capacité d’hébergement de la Ville, à moins de réquisitionner un immeuble neuf d’Euroméditerranée ou un navire de croisière… Deux possibilités compliquées à faire passer.

Actualisation le 6 mai à 9 h 21 : anonymisation d’une source à sa demande.

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