C’est un lieu ressource pour personnes sans-abri dans le centre-ville de Marseille, ouvert d’ordinaire de 8 h à 16 h 15. Mais, ce jeudi 7 novembre à 10 h 30, le rideau de fer est toujours baissé devant la porte d’entrée de l’accueil de jour situé au 16/20 rue Loubon (3e). Un jeune homme, 1,90 m, casquette trouée vissée sur la tête, le fixe, la mine déconfite. “Ça fait trois fois que je viens cette semaine, je ne comprends pas”, déplore-t-il. Le local de l’association Accueil de jour (ADJ) ne rouvrira pas. Il voyait pourtant passer quotidiennement entre 200 et 300 hommes, qui y recevaient leur courrier, venaient s’y doucher ou se faisaient aider pour leurs démarches administratives.
Il y a une dizaine de jours, la direction a décidé de quitter définitivement le local. La petite feuille blanche accrochée sur la devanture grise invite les personnes accueillies à se rendre au 34 boulevard Bouès, à quelques mètres de là. Peu de précisions sont données sur les raisons de ce déménagement rapide, mais le garçon comprend tout de suite. “C’est vrai que c’était dangereux ici”, devine-t-il, en enfourchant son vélo. Il pédale à vive allure, s’éloigne du bâtiment. À l’angle de ce dernier, des guetteurs encore minots sont accoudés au mur et surveillent le point de deal du Moulin de Mai.
La façade du bâtiment, le 7 novembre 2024. (Photo : CM)
Impacts de balles sur les murs
Au fond du jardin de l’immeuble du 16/20 rue Loubon, seule une clôture sépare la pelouse des marches où sont vendues les drogues. À travers les barreaux de l’enceinte, on aperçoit l’impasse dans laquelle un jeune du réseau a été tué par un autre, fin septembre. Les narcotrafiquants escaladent parfois cette frontière métallique, pour échapper à la police ou mener leurs transactions à l’abri des regards. En 2022, le bâtiment a reçu des balles, dont les murs de la salle de réunion portent encore les traces. La fondation Abbé Pierre, propriétaire des locaux, a fermé la boutique solidarité et les bureaux qu’elle y avait installés en octobre 2022, à la suite de cet épisode.
L’accueil de jour de l’ADJ emménage temporairement dans ces locaux au mois de juin 2024. “Le bâtiment que nous prête le département des Bouches-du-Rhône, au 34 boulevard Bouès, devait être rénové, indique Clémence*, une travailleuse sociale de l’association, qui souhaite rester anonyme. On avait vite besoin d’un lieu pour que les 3 000 personnes domiciliées à l’ADJ puissent continuer de recevoir leur courrier, prendre une douche, boire un café ou se faire aider pour leurs demandes de RSA ou d’accès à une couverture santé.” Mais dans ces espaces temporaires, le calme est de courte durée. Au bout de quelques semaines, les narcotrafiquants s’attaquent au local.
“Ne prévenez personne”
Le 12 août, en début d’après-midi, deux hommes encagoulés et armés tournent en scooter autour de l’ADJ et du point de deal. Les salariés apeurés ferment l’accueil et évacuent les personnes par l’arrière du bâtiment. Les hommes reviennent à pied pour rencontrer les deux travailleurs sociaux restés sur place et les menacent, a appris Marsactu de sources concordantes. La direction décide alors de fermer l’accueil pendant dix jours, puis de le rouvrir, en renforçant la sécurité à l’entrée.
Durant les semaines qui suivent, le quartier est marqué par plusieurs narchomicides. L’ADJ n’est pas pris directement pour cible par les acteurs du réseau, jusqu’au mois d’octobre. La semaine du 14, la police nationale mène une opération au Moulin de Mai. Pour leur échapper, les trafiquants jettent des sacs, que les salariés de l’ADJ ont préféré garder fermés, dans le jardin de l’association.
Le dimanche 20 octobre, un représentant du réseau entre dans l’accueil de jour et s’assoit par terre, exigeant de parler avec le directeur de la structure. La cheffe de service le reçoit dans son bureau et l’homme, agressif, l’assaille de questions. “Il cherchait à s’assurer que la structure n’avait pas de lien avec la police”, détaille Clémence. La travailleuse sociale en sort chamboulée. L’intrus, beaucoup moins perturbé, tente de recruter un sans-abri accueilli, devant les yeux ébahis des travailleurs. Le lendemain, la direction ferme la structure et demande au département de réintégrer ses locaux du boulevard Bouès au plus vite. La collectivité leur demande de patienter jusqu’au 25 novembre, le temps d’installer des câbles électriques dans l’immeuble, ce qui ne peut se faire que dans des locaux inoccupés.
Réouvertures forcées
Le jeudi 24 octobre, les salariés sont conviés à une réunion en présence de la police pour évoquer la situation. “Elle a tenté de nous rassurer, en nous disant que l’association n’était pas une cible directe du réseau”, raconte Walid*, un autre travailleur présent ce jour-là. La direction décide donc de rouvrir l’ADJ pour quelques jours seulement, en attendant de réintégrer le boulevard Bouès.
Mais dès la réouverture, des jeunes du réseau entrent dans le jardin du 16/20 rue Loubon pour y vendre de la drogue. C’en est trop pour la direction, qui décide de quitter définitivement les lieux le lundi 28 octobre et de réintégrer le 34 boulevard Bouès, sans l’aval des autorités départementales.
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