Aix-Marseille-Provence métropole va lancer une enquête sur la fraude dans les transports en commun sur l’ensemble du territoire. Jusqu’ici, la collectivité analysait de manière distincte le réseau marseillais et les autres réseaux métropolitains. Mais le 18 décembre, un nouvel appel d’offres a été lancé, repéré par La Marseillaise juste avant les fêtes. Doté d’un million d’euros de budget maximum, il vise à réaliser une enquête sur la fraude à l’échelle de la totalité du territoire et dans tous les modes de transport, pour la période 2025-2027.
Le cahier des clauses techniques particulières de ce marché, consultable en ligne et décrypté par Marsactu, fait, en amont de cette nouvelle enquête, le bilan des derniers chiffres dont dispose la métropole en matière de fraude dans les transports en commun. Si “la fraude demeure difficilement mesurable”, comme indique le document, elle représente une épine dans le pied non négligeable de la régie des transports métropolitains (RTM), l’opérateur de la collectivité dans ce domaine.
La chambre régionale des comptes pointe déjà ce fait dans un rapport publié en 2022 et qui examine les données des exercices 2016 à 2021 de la RTM. Elle qualifie alors la fraude “d’endémique”, avec un niveau “en progression” et “largement supérieur aux autres réseaux”. Selon les dernières données présentes dans l’appel d’offres, qui regroupe les rapports d’activités de 2021 à 2023 des différents réseaux métropolitains, la fraude continue sur les mêmes rails.
Dans les bus marseillais, un usager sur deux fraude
Les premières données se rapportent au réseau RTM historique, c’est-à-dire Marseille. Dans le métro en 2023, la “fraude dure”, à savoir l’absence totale de titre de transports, concerne 16,7 % des voyageurs. Un chiffre qui grimpe à 24,2 % pour le tramway et 33,2 % dans les bus. La moyenne sur tous les modes de déplacement atteignait 28,7 % en 2021, contre 23,5 % en 2020, lors de la rédaction du rapport de la chambre régionale des comptes. Avant de redescendre à 25,7 % en 2023.
Ainsi, malgré les alertes des magistrats, le phénomène a continué de progresser. Pas de quoi décourager la métropole. Dans sa réponse au rapport de 2022, comme dans le marché lancé en ce mois de décembre 2024, cette dernière estime que “l’objectif 2025 que l’opérateur interne juge atteignable est une fraude dure à 15 %.”
L’autre volet de la fraude dans les transports en commun concerne l’absence de validation de tickets. Une variable qui continue, elle aussi, à augmenter au fil des années. Ainsi, en comptant également les tickets non validés, 48,7 % des usagers sont en situation de fraude dans les bus en 2023. Dans les tramways, ils sont 37,4 %, et 20 % dans le métro. La métropole estime, dans son analyse exposée dans ce même document, que ce sont “des habitudes difficiles à endiguer” et qu’il y a “une fraude tendant à « s’institutionnaliser »“.
La fraude dans les transports marseillais entre 2020 et 2023. (Source : enquête de la métropole)
“Les manques à gagner peuvent se chiffrer en millions d’euros par an. Les enjeux économiques que représente la fraude pour les opérateurs qui exploitent et pour l’AOM [autorité organisatrice de la mobilité, ndlr] qui finance la modernisation des réseaux sont donc importants”, rappelle le document. Les magistrats de la CRC partent du principe que 1 % de fraude dure correspond à une perte d’environ un million d’euros de recettes. Selon cette méthode de calcul, cela équivaudrait à une perte de 25,7 millions d’euros en 2023, juste sur le réseau de transports marseillais.
Un taux de fraude “moyen” à 31 % sur la métropole
Pour les transports en commun hors de Marseille, la métropole disposait donc d’un marché à part entre 2020 et 2024 afin de réaliser des enquêtes sur la fraude. La première année, 2021, seuls trois réseaux ont été inspectés : Ulysse à Martigues et Istres, Bus de l’Étang pour Marignane ou encore Vitrolles, ainsi que Libébus dans le pays salonais. Le reste du territoire a été analysé à partir de l’année suivante. Ainsi, pour le bilan 2023, le réseau Ciotabus, des communes de La Ciotat et Ceyreste, a le plus fort taux de fraude, à 34 %.
La fraude dans les transports en commun, à Marseille et dans la métropole. (Infographie : ML)
À partir de ces deux enquêtes, celle sur le réseau marseillais et celle sur le reste de la métropole, un taux de fraude “moyen” sur l’ensemble du territoire a été calculé par l’opérateur des transports. Avec 15,7 millions de trafics en 2022, il s’établit à 31,2 %. Et sur 2023, avec 15,5 millions de trajets, 31,4 % des déplacements sont fraudés, soit près de 4,9 millions de voyages. Si on enlève Marseille, ce taux tombe cependant à 9,1 % en 2022 et 9,5 % en 2023. La ville-centre concentre donc la fraude, et ainsi les pertes, pour la métropole.
25,7 millions d’euros perdus
Face à ce constat, “la lutte contre la fraude dans ses transports publics est donc plus que jamais pour la métropole Aix Marseille-Provence un sujet de préoccupation majeur”, rappelle la collectivité dans le document. Contactés par Marsactu, ses services n’ont pas répondu à nos sollicitations pour réagir à ces éléments dans les délais impartis à la publication de cet article.
Ces chiffres soulèvent aussi un débat depuis des années, notamment de la part de l’opposition de gauche, sur la gratuité dans les transports en commun, et plus généralement sur la lisibilité de la tarification proposée par la métropole. Pour le groupe Pour une métropole du bien commun, travailler sur ces deux éléments, particulièrement auprès des plus jeunes, à l’instar de ce qu’ont fait d’autres villes françaises comme Montpellier, permettrait en effet de lutter plus efficacement contre la fraude. Et, plus globalement, de promouvoir les transports en commun.
Interpellée par l’élue métropolitaine d’opposition Prune Helfter-Noah (Printemps marseillais) sur ces propositions en 2024, la présidente Martine Vassal (divers droite) donnait en réponse dans un courrier quelques données sur les moyens déployés par la collectivité en matière de lutte contre la fraude. “Les moyens affectés […] s’élèvent à 15,9 millions d’euros, comprenant la masse salariale, l’habillement et les frais divers, ainsi que l’enquête fraude”, indique ainsi Martine Vassal.
Autre mesure mise en place : “L’investissement global de la métropole dans l’équipement des stations de métro en portillons anti-fraude s’élève à 7,3 millions d’euros entre 2023 et 2028, en accompagnement des rénovations de stations. S’y ajoutent le coût de l’extension actuelle des locaux fraude, dont l’AP [autorisation de programme, ndlr] s’élève à 890 000 euros.” Il y a quelques semaines, la RTM a lancé en parallèle une expérimentation pour un dispositif de “contravention pédagogique” afin de remplacer son amende par un abonnement en cas de contrôle pour fraude dans les transports en commun.
À partir du mercredi 8 janvier, la RTM pourra également utiliser le nouveau système “Stop Fraude“, lancé au niveau national, qui permet aux contrôleurs de vérifier en fin de journée à partir des données fiscales l’adresse donnée par le fraudeur lorsqu’il a reçu une amende et la corriger au besoin. Ils pourraient à l’avenir aussi exiger une attestation de domicile au moment du contrôle, selon la proposition de loi pour le “renforcement de la sûreté dans les transports” déposée par le sénateur Philippe Tabarot, devenu ministre des Transports.
La nouvelle enquête sur la fraude doit aussi servir de support pour orienter les actions de prévention et de lutte contre la fraude, précise le marché. La métropole attend que le futur prestataire fournisse une analyse complète, des alertes sur certaines zones ou modes de transports le cas échéant, mais également qu’il propose des préconisations. En guide de piste, le cahier des charges note, par exemple, de “renforcer les contrôles des jeunes usagers pour réduire le délit d’habitude” ou encore de “communiquer davantage et rendre plus visible dans l’espace public la tarification sociale”. Les entreprises ont jusqu’au 10 février pour répondre à cet appel d’offres.