mardi 24 mai 2022

Concertation des habitants pour l'opération "Hoche-Versailles" (Journal Marsactu)

 Situé entre la Belle-de-Mai et la Villette, le quartier Hoche-Versailles est une des poches de mal-logement considérée comme prioritaires par l'État et les collectivités. Dans ce cadre, il est le premier morceau de ville dont la transformation entre en concertation ces jours-ci.

Une vue de la chambre des enfants Hamadi, rue Junot. (Photo : BG)

Vlam ! La réunion démarre à peine quand une table vacille et le PowerPoint s’éteint en même temps que l’ordinateur. Dans une petite salle de la maison pour tous Kléber, le projet partenarial d’aménagement (PPA) fait sa discrète entrée dans le concret ce lundi 16 mai au soir avec la première réunion de concertation de l’îlot Hoche-Versailles, devant une quarantaine de riverains.

Charte de relogement, propriétaires occupants, concertation, identité commerçante… La réunion ronronne gentiment autour des questionnements habituels de l’aménagement urbain. Hoche-Versailles est un des quatre secteurs prioritaires de ce vaste chantier de 1000 hectares initié par l’État et les collectivités dans les semaines suivant le drame de la rue d’Aubagne.

CONCERTATIONS ET CONCESSIONS
Initié par Euroméditerranée, le projet sur l’îlot Hoche-Versailles a déjà bénéficié de nombreuses études et d’un financement de l’agence nationale de rénovation urbaine. Ce travail préalable a permis l’entrée rapide de ce morceau de ville dans le vaste projet du projet partenarial d’aménagement. Les autres secteurs prioritaires, à la Belle-de-Mai et à Noailles, connaîtront une phase de concertation semblable entre le 6 juin et le 8 juillet. Dans la foulée, Euroméditerranée et la métropole confieront des concessions d’aménagement à la société publique. “Ensuite, quand les projets vont démarrer, nous aurons des permanences hebdomadaires dans chaque îlot pour être au plus près des habitants qui sont les experts d’usage de ces quartiers”, explique Franck Caro, le directeur de la SPLA-IN.

HABITAT INDIGNE, IMPASSES ET ESPACES DÉLAISSÉS

Sur cet îlot – ou pâté de maison pour le dire plus simplement – les priorités sont multiples : l’habitat indigne repéré par les études successives d’une part et des espaces publics qui offrent peu de qualités, autres que des “barrières, voies ferrées et autoroutes”, de l’autre. “Il y a ici un rapport déséquilibré en faveur de la voiture dans les espaces publics, avec notamment des impasses”, détaille Nicolas Persyn, de l’agence Concorde, en charge de l’étude des espaces publics pour Euroméditerranée. “Il y a aussi des équipements publics, très morcelés, avec un peu végétation, mais noyée dans une grande mare de bitume”, reprend le technicien. Ici, le maître mot est de désenclaver le quartier en créant de nouvelles voies et des espaces publics un peu plus accueillants.

À l’impasse Junot, les immeubles jouxtent immédiatement l’autoroute. (Photo : BG)

Effectivement, dans la petite impasse Junot, on entend les oiseaux. Ils pépient ou roucoulent, passent d’un buisson aux interstices du double tablier de l’autoroute A7. Depuis quelques décennies, ces gigantesques piliers dominent les quartiers de Saint-Mauront et Saint-Lazare. L’autoroute rejoint le sol quelques centaines de mètres plus loin, au niveau de la gare Saint-Charles. Entre les deux, tout un monde s’est construit : un quotidien à l’ombre de l’autoroute A7.

Tidjara Hamadi la voit depuis son balcon où elle ne va plus. Une fois les fenêtres en double vitrage fermées elle ne l’entend guère. Mais la mère de famille a l’esprit rivé ailleurs : ici, le mal-logement s’impose comme une urgence. Sous la cuisinière, des souris prises dans un piège gigotent en couinant. Ses deux enfants partagent une toute petite chambre encombrée d’un lit superposé et de deux bureaux. On y passe à peine. Au mur : la lèpre grise des moisissures. “Je repeins sans arrêt, mais ça revient, se désole la maman solo qui voudrait tant trouver plus grand. Ce n’est pas bon un garçon et une fille qui dorment dans la même chambre”.

Le boulevard National et la place Arzial vus depuis les dessous de l’autoroute. Photo : B.G.

L’aîné, Maabad est au lycée. Il fait ses devoirs sur un petit bureau. “En été, on ouvre parce qu’il fait trop chaud, explique-t-il. Mais ça devient vite assourdissant alors on a du mal à dormir“. Au RSA quand les remplacements de ménage se font rare, Tdijira Hamadi paie tout de même 800 euros pour ce minuscule T3, coincé entre la voie ferrée et l’autoroute. Elle ne va plus dans le jardin qu’elle partage avec les quatre autres ménages de l’immeuble. “Avant, on faisait pousser nos légumes, tomates, melons, pastèques, mais les rats nous mangent tout”, constate Maabad. Sa petite sœur va au collège Versailles à quelques mètres à vol d’oiseau.

LE COLLÈGE VERSAILLES, NOUVELLE CENTRALITÉ

Mais pour y parvenir, il faut faire tout un grand tour en longeant l’autoroute. Pour l’heure, le collège est encore en travaux, au moins jusqu’à l’été 2023. Bientôt, il tournera le dos à l’infrastructure routière en s’ouvrant sur une esplanade. Le grand bâtiment en L fait encore face aux immeubles décatis de l’impasse du même nom. Marsactu a consacré de nombreux reportages à ces copropriétés minées par l’insalubrité. L’une d’elles, sise au N°7, a été définitivement fermée après un arrêté d’insalubrité irrémédiable. Mais les immeubles voisins n’offrent pas un visage beaucoup plus gai.

Le collège Versailles et les immeubles promis à démolition depuis la sous-face de l’autoroute. Photo : B.G.

Au n°11, le dernier étage a d’ores et déjà été fermé et ses occupants relogés. Mais les autres patientent toujours dans l’indécence du mal-logement. Marie Gaia en monte péniblement les marches dont le marbre est à peine visible sous la crasse accumulée. Elle vit au 5ᵉ étage dans un T4 qui a déjà reçu la visite des services d’hygiène pour en faire constater l’indécence. “Mais le propriétaire n’a rien fait à part poser une ventilation qui n’a jamais marché”.

Mère de trois enfants dont l’aînée lourdement handicapée par des problèmes respiratoires et de mobilité, Marie Gaïa est prioritaire pour un relogement. “Mais je n’ai toujours de pas de nouvelles, se désole-t-elle, avec l’accent chantant de ses racines réunionnaises. Mon dossier de droit opposable au logement (Dalo) a été rejeté deux fois par la préfecture. J’attends depuis 2019, sans résultat. Aujourd’hui, on me conseille de prendre un avocat…” En attendant, sa fille descend péniblement à pied les escaliers avant d’être prise en charge par la métropole pour se rendre au lycée.

À VERSAILLES, DÉMOLITIONS EN VUE ET PARVIS À SUIVRE

Les quatre immeubles à l’entrée de la rue sont promis à démolition. Seuls les deux du fond, mieux conçus, pourraient éviter la disparition. Chargé d’une concession pour le compte d’Euroméditerranée, l’établissement public foncier a déjà racheté 40% des lots à l’amiable. Une déclaration d’utilité publique devrait permettre de passer à l’expropriation. Les trois immeubles de la rue Hoche qui jouxtent l’autoroute sont déjà rachetés aux deux tiers, ce qui va permettre de laisser bientôt place à un parvis qui ferait la jonction avec la Belle-de-Mai, par delà l’autoroute. De l’autre côté, il est prévu de rénover la résidence Pothier pour d’une part, accueillir les familles à reloger dans de nouveaux bâtiments et d’autre part construire de nouvelles voies pour raccorder ce bout de quartier au métro Désirée-Clary.

Ce sera à la nouvelle SPLA-IN d’opérer les démolitions, libérant un peu d’espace pour créer un espace public digne de ce nom mieux assurer les circulations de part et d’autres de l’autoroute. Car l’infrastructure n’est pas seulement un obstacle visuel : peu de monde circule sous son tablier, vaste parking ponctué d’espaces délaissés. “On ne peut pas agir sur l’habitat indigne si on ne prend pas en compte la question plus systémique de l’impact de ces voies pénétrantes sur le tissu urbain marseillais, analyse Paul Colombani, le directeur général adjoint d’Euroméditerranée. L’établissement public a été mandaté par ces tutelles pour engager des études sur le devenir à moyen terme des deux autoroutes pénétrantes que sont l’A7 et l’A55″.

Les collégiens de Versailles traversent des zones à l’abandon pour rejoindre leur domicile. (Photo : BG)

En attendant que celles-ci démarrent, il faut construire un projet à long terme pour redonner du sens à ce qui se situe en-dessous. Réaliser des cheminements piétons, rétablir des espaces publics en installant des espaces verts… Aujourd’hui, un chapelet de petits squares jalonne l’autoroute, du Racati à Saint-Mauront, mais ils ne sont visités que par les rats, nuitamment et quelques personnes âgées, en journée. Rarement des enfants. Les nouveaux opérateurs annoncent des premières actions sur ces espaces publics “à cinq ans”. D’ici là, les riverains sont conviés à une nouvelle réunion de concertation, le 23 mai prochain. Dans ce coin de Marseille, on a depuis longtemps l’habitude d’attendre.

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